Ils revendiquent un objectif, celui d’ouvrir le champ des possibles et de restaurer la fierté d’appartenir à une France encore trop souvent considérée comme “périphérique”, “oubliée” ou “à la traîne”. Comment faciliter l’accès à des cursus sélectifs à ces jeunes alors qu’aujourd’hui cela s’apparente à un véritable parcours semé d’embûches ?
Zoom sur une initiative portée par des jeunes citoyens engagés issus des territoires ruraux. « De l’Allier aux Grandes Ecoles”. 
Entretien avec le (jeune) Président, Dimitri De Freitas 

Peux-tu nous parler de la démarche De l’Allier aux grandes écoles?

De l’Allier aux grandes c’est d’abord une antenne de la fédération nationale Des Territoires aux Grandes Écoles. Nous sommes partis d’un constat très simple : dans les filières supérieures et sélectives, que certains considèrent comme prestigieuses, il y a beaucoup moins de jeunes ruraux et nous avons voulu savoir pourquoi.
Au final, ce qui est ressorti c’est que ce n’est pas une question de niveau scolaire mais surtout un manque d’information, de conseils et peut-être un peu de motivation – en tout cas, le besoin d’une aide extérieure. 
Nous avons décidé de nous rassembler, nous, étudiants et diplômés passés par des cursus sélectifs pour créer De l’Allier aux Grandes Écoles. Nous voulions accompagner et faire évoluer les élèves dans leurs démarches d’orientation et surtout leur donner envie d’oser. Il y a une grosse autocensure que l’on veut briser. 

Vous vous adressez aux étudiants. Mais quel message souhaitez-vous envoyer plus largement à la société française

Le message que nous souhaitons faire passer, c’est que nous, territoires ruraux, nous existons.

crédit photo : De l’Allier aux Grandes Ecoles

Quand on vient d’un territoire comme l’Allier, il ne faut pas en avoir honte. D’ailleurs, je pense même que c’est un avantage car on connaît les différentes réalités. Au lieu d’avoir une vision victimaire de la ruralité, nous en avons une vision émancipatrice. 

Tu es à Sciences Po Paris ; En terme de diversité, comment est composée ta classe?

Dans ma classe, il y a les bi-cursus et les mono-cursus. Dans le premier groupe, on ne vas pas se le cacher il y beaucoup d’étudiants de lycées privés parisiens et de grandes villes. Pour les mono-cursus, il y a déjà plus de diversité notamment grâce à la procédure CEP  pour les quartiers populaires de l’Île-de-France. Il y a aussi de plus en plus de provinciaux. Je crois que ma promotion est la première où il y a plus de provinciaux que de franciliens. 
Mais le combat n’est pas terminé. Dans mon bi-cursus littéraire, sur 98 élèves, seulement deux viennent de la procédure CEP, et très peu d’un petit lycée ou d’une petite ville. C’est dommage.

En regardant la carte des différentes antennes « Des Territoires aux Grandes Écoles », on voit qu’il n’y en a pas partout ; qui décide de monter ces antennes, et comment se déploient-elles sur un territoire?

Ce sont des étudiants ou jeunes diplômés qui vont créer une initiative locale pour lancer une association ( = “Le nom du département + aux grandes écoles”). Le terme -local- est primordial.  Tout part vraiment d’un département. 
L’avantage de notre association, c’est que le national n’impose rien ! Cela nous permet de refléter nos particularités et de s’adapter à nos territoires. 

Si on parle de l’Allier, depuis combien de temps l’initiative existe t-elle? Quelles actions ont été mises en place?

crédit photo : De l’Allier aux Grandes Ecoles

L’antenne existe depuis 2017. Dès le départ il y a eu des échanges avec les élus. Des parrainages ont été menés, ainsi qu’une dizaine d’interventions. Nous avons signé des conventions avec quatre lycées pour intervenir plus régulièrement. Nous avons aussi organisé des conférences animées par d’anciens élèves de Blaise Pascal, HEC, Harvard et de la Sorbonne.

Quels sont les nouveautés et les projets en cours pour 2019-2020 ? 

Nous voulons lancer  le projet « bourse » qui existe déjà au Pays Basque. Nous allons rencontrer des chefs d’entreprises qui souhaiteraient contribuer pour permettre de financer une bourse à hauteur de 5000 euros dans chaque lycée partenaire.
Ces entreprises manquent de ressources humaines. Elles cherchent des profils qui ont fait de grandes écoles et elles ont du mal à les faire venir dans l’Allier. 
Les jeunes qui ont grandi dans l’Allier, sont les plus susceptibles de revenir sur leur territoire d’origine. En finançant ces bourses, nous créons un lien entre ces élèves qui vont intégrer de grandes écoles, et les entreprises qui auront investi.

Sur l’initiative de l’Allier, combien êtes-vous? Comment fonctionne un dispositif tel que celui ci ?

Nous sommes une vingtaine de parrains de moins de trente ans. Le bureau est composé de sept membres. Jean d’Andlau est en train de faire sa thèse, Léa Jouannin passe des concours de droit, Mégane Morlat vient d’être recrutée chez Michelin dans la filière communication et Clément est expert-comptable. Les autres sont encore étudiants.  

crédit photo : De l’Allier aux Grandes Ecoles

As-tu une anecdote, une histoire particulière à nous raconter? 

Lors de la conférence avec Jérémie Gallon, montluçonnais et ancien étudiant de Harvard, un élève m’a dit : “Jamais je n’aurais pu penser que quelqu’un qui venait de Montluçon puisse un jour faire autre chose que la fac de Clermont. Je n’arrive pas à me dire que chacun de nous dans ce lycée puisse un jour être cet élève”. 

L’Etat soutient-il cette initiative pour qu’elle puisse se déployer sur tous les territoires?

La crise des gilets jaunes nous a permis de bénéficier de l’oreille attentive du gouvernement. Il y a un véritable problème entre Paris et la province. Au niveau local, nous avons été reçus par Claude Riboulet, Président du Conseil Départemental, ainsi que Claude Malhuret, Sénateur de Vichy. 
On nous écoute et c’est rassurant. Cela nous encourage à poursuivre dans notre démarche.