Philippe Herzog, fondateur de Reflex Partner Group, travaille depuis 17 ans sur le sujet de l’ingénierie pédagogique digitale. Il défend l’idée que l’e-learning est une approche complémentaire intéressante dans la formation et l’enseignement.
Avec son franc-parler, il nous interroge aussi sur la place de l’enseignant dans la diffusion des connaissances.

Philippe Herzog, est un ancien de l’ESC Clermont. Suite à sa formation, il travaille quelques temps dans le secteur de l’industrie. Rapidement, il choisit de se mettre à son compte en conseil et formation aux négociations commerciales. 
Passionné par l’Afrique, il intervient là-bas pendant de nombreuses années comme expert consultant référencé auprès de Nations Unis.
Il y a 25 ans que il crée Reflex International. En 2018, il fonde Reflex Partner Group avec une approche startup sur le développement d’activités e-learning.

Aujourd’hui on est là pour parler e-learning. La crise sanitaire a mis en lumière cette approche pédagogique, pourtant elle reste encore assez mal comprise

Nous avons créé les premiers modules d’e-learning il y a dix-sept ans. Aujourd’hui, le terme s’est démocratisé, mais il y a un raccourci qui se fait à l’évocation de ce mot. 
On pense qu’il est là pour remplacer le professeur dans un monde entièrement digitalisé. C’est complètement faux. L’e-learning, ce sont des modules à distance qui viennent en appui de ce que fait le professeur ou le formateur. 
L’e-learning d’aujourd’hui n’est pas très différent de celui de son début. Ce sont les outils numériques qui ont évolué.
La base du e-learning c’est l’ingénierie pédagogique digitale. C’est-à-dire, que l’on va décomposer un cours pour remplir des objectifs pédagogiques. On peut descendre en dessous de la minute pour certaines formations. Il faut ensuite déterminer quelles méthodes et quels supports répondront le mieux à l’objectif. 
Par exemple, pour un module de 30 heures de cours, nous allons développer entre 7 et 10 heures d’e-learning pur. 

Mais concrètement comment cela se passe ? Comment est-ce que l’on digitalise un contenu ? 

Alors pour digitaliser un cours, il faut l’intervention de plusieurs métiers. D’abord, il y a l’ingénieur pédagogique digitale. C’est un peu l’architecte qui va en plus choisir les matériaux. Ensuite, c’est au tour du graphiste d’apporter sa touche, il va créer la charte et animer les contenus. 
En ce qui concerne les contenus, la plupart du temps, ce sont soit les professeurs qui fournissent la matière, et, à partir de cela, on définit l’architecture du cours. Ils nous arrivent parfois de réécrire les contenus à partir d’apports théoriques. Notre ingénieur pédagogique digitale intervient pour créer, si l’on veut, l’architecture de la séance. 
Ensuite, nous avons une équipe vidéo, composée de cadreurs, de monteurs, qui va filmer les intervenants. Ça peut être les professeurs ou des acteurs en fonction des besoins. Puis interviennent les spécialistes du motion design, qui vont animer graphiquement une séance.
Enfin, les contenus sont intégrés sur une plateforme numérique qui les rend disponibles aux formateurs et aux apprenants.


Est-ce que la crise Covid a eu un impact sur vos activités ? Est-ce que cela vous a créé de nouvelles opportunités ?

Nous travaillons depuis des années avec l’une des premières Business School française. Avec le confinement, soudain, nous avons dû trouver une solution pour proposer une continuité pédagogique à des étudiants étrangers éparpillés un peu partout (Arabie Saoudite, de Scandinavie etc…)
Nous sommes parvenus à monter un cours de trente heures de négociations commerciales en une semaine. 
En dehors des sessions e-learning, cinq experts thématiques sont intervenus. À travers des webinaires, nous avons pu proposer de l’interaction avec les étudiants. À la fin de ce module nous avons organisé des négociations avec évaluations des pairs grâce à des plateformes de visioconférences.
Quand nous regardons en arrière, nous sommes vraiment fiers de ce que nous avons accompli. On a relevé ce défi malgré les décalages horaires et la désorganisation liée au confinement soudain.

On voit fleurir sur internet des modules d’e-learning pour quelques dizaines d’euros. Est-ce que l’on assiste à une démocratisation de l’accès aux connaissances ?

Pas du tout. Et c’est d’ailleurs un vrai problème. Si l’on pose une caméra et que l’on filme une intervention d’un professeur, ce n’est pas du e-learning. C’est juste une formation en distanciel pour des raisons économiques ou sanitaires.
Pour réaliser un module avec une approche e-learning professionnelle, c’est minimum quatre mois de travail pour trente heures de contenus.

Crédit : Dr Spoc

Mais alors l’e-learning est une alternative ou un palliatif au présentiel ?

Là n’est pas la question. Il faut une architecture de cours qui soit réfléchie. Je vous le dis sans détour, on ne peut pas imaginer une seule seconde de faire de la formation sans qu’il y ait de l’échange. Le 100% pur e-learning, cela ne fonctionne pas. 
En revanche, partir du principe que le présentiel est gage de qualité est une erreur. Une intervention non préparée restera de qualité médiocre en présentiel comme en distanciel.
Si on veut être efficace, il faut intégrer des échanges, il faut alterner les méthodes pédagogiques. Il faut de la variété autant dans le fond que dans la forme. 
Cette approche-là, c’est la base, en distanciel comme en présentiel. Il faut donner du rythme pour garder l’attention de l’apprenant.
Une caméra avec un prof qui parle pendant deux heures, excusez-moi, mais c’est du foutage de g*****.

Oulala ! Je vous sens agacé.

Oui, parce qu’en faisant cela, on oublie la base. Le séquençage. Aujourd’hui, les meilleurs pédagogues sont les professeurs des écoles maternelles. Ils découpent leurs journées en séquence de dix minutes sur trois axes : savoir – savoir-être – savoir-faire. S’ils ne font pas cela, ils ne peuvent tout simplement pas y arriver. 
À l’heure actuelle, dans de nombreux cours, on ne se focalise que sur les savoirs. A mon sens, c’est une erreur. Grâce à Internet, la connaissance est disponible, donc, régurgiter des savoirs disponibles, je ne vois pas où est la valeur ajoutée. En revanche, travailler la mise en pratique de ces enseignements est indispensable. Il faut des exercices qui se focalisent sur le savoir-faire et le savoir-être.

Est-ce qu’il existe une recette miracle pour bien apprendre aujourd’hui ?

S’il y avait une recette miracle, elle serait connue depuis très longtemps. En revanche, je le répète, il faut séquencer l’apprentissage que ce soit en présentiel ou distanciel.
Un autre élément connu dans le processus d’apprentissage est la répétition. Ce n’est pas parce que l’on entend un message une fois qu’on le retient. C’est la répétition qui nous le fait mémoriser.
Il faut donc que ce message nous parvienne plusieurs fois, de différentes manières. Il ne suffit pas de le répéter dix fois pour que “ça rentre”.

On entend de nombreuses critiques sur la baisse de la qualité des cours à cause de leur digitalisation. Le e-learning n’a pas forcément bonne presse.

L’expression e-learning est trop générique. Nous préconisons plutôt le blended learning, la partie digitalisation est là en renfort des apports de connaissance. 

Mais ce qui veut dire moins de revenus pour les professeurs ? 

Pas forcément. Les professeurs qui participent à l’élaboration d’un module en e-learning ont peut-être moins d’heures en présentiel, mais ils peuvent toucher une rémunération, comme un écrivain touche des droits d’auteur. C’est à l’établissement qui emploie le professeur, d’établir les clauses du contrat pour que ce soit du gagnant-gagnant. 

crédit photos : pixabay

La rentrée a sonné. Que pensez-vous de l’organisation pédagogique d’une manière générale ?

Alors on fait comme on peut, car la situation est exceptionnelle mais pour l’avenir il va falloir faire preuve de créativité. On court à la catastrophe économique si on ne trouve pas des moyens de substitutions. 
D’ailleurs, c’est déjà un vrai sujet concernant les étudiants étrangers. Ils représentent une ressource importante pour les établissements de formation. Or, pour cette année, leur participation aux revenus de toute École, sont en chute libre. 

Mais alors que peut-on faire ? 

Le blended learning est un format intéressant. C’est un mix d’apprentissages en présentiel et d’autres en distanciel. Cepdendant, on ne peut pas le réfléchir avec les élèves en classe “une fois sur deux”. Il faut mettre en place une architecture qui ait un sens au niveau pédagogique.
Ensuite, il faut faire la distinction entre l’individuel et le collectif. On peut très bien imaginer une dimension collective même en distanciel. Il existe de plus en plus d’outils qui permettent cela (Discord, Zoom, Klaxoon….)
Aujourd’hui, cette partie n’est pas gérée ou du moins pas encadrée. On donne un travail à faire collectivement, mais ensuite, c’est aux étudiants de s’organiser. Ils vont au bistrot, à la bibliothèque…
Dans un contexte de crise sanitaire, il faut proposer une méthodologie pour les travaux de groupes. Un professeur peut-être présent en TD même en virtuel et passer de groupe en groupe pour accompagner et répondre aux questions.

Et donc pour vous quelles sont les prochaines échéances ? 

Nous allons démarrer un gros chantier avec un second établissement lui aussi très connu en France. C’est passionnant, car on est sur de la réinsertion professionnelle avec une partie pratique très importante. Je ne suis pas un intégriste du “full distanciel”, nous allons combiner e-learning et mises en situation réelle. 
À côté de cela nous allons continuer à développer nos activités. D’abord la digitalisation de cours, ensuite la fonction support pour accompagner les professeurs dans la prise en mains des outils et nous allons produire nos propres modules de négociations commerciales.

C’est l’instant Carte blanche. Quelque chose à ajouter ?

Je pense qu’il est temps d’être plus innovant. Il faut se demander aujourd’hui quelle est la compétence indispensable de l’enseignant. Il faut regarder l’éventail des moyens digitaux disponibles et voir ce qu’ils peuvent apporter. 
C’est avec cette approche que l’on sera en mesure de créer des concepts pédagogiques attrayants et efficaces dans le temps. N’oublions que notre rôle est de permettre l’acquisition des savoirs – savoir-faire et savoir-être pour que les générations futures puissent intégrer le monde du travail avec sérénité. 

Sur le même sujet, retrouvez l’interview de Stéphane Calipel,  vice-président de l’Université Clermont Auvergne délégué à la communication, enseignant à l’Ecole d’Economie et chercheur au CERDI.