Le sujet pourrait être traité de manière globale: la sécurité dans les déplacements est un sujet majeur. Plus on a confiance, plus on est susceptible d’être utilisateur. Et inversement. Le déficit de confiance génère un retour (repli) vers sa cellule automobile privée. Traité sous l’angle de la sécurité des femmes, c’est le thème instillé par la Clermont Innovation Week, force est de constater qu’il n’y a que des femmes ou presque dans la salle.

Bref, il s’agissait d’évoquer la problématique de la sécurité et du sentiment de sécurité dans les déplacements en transports en commun ou à pieds et à vélo. Parce que cette situation génère des comportements dits d’évitements qui nuisent au plein déploiement des mobilités alternatives c’est un sujet majeur pour Patrick Oliva, le Président de l’association Orbimob.

Le contexte

Pléthore de chiffres très significatifs

Toutes les études montrent une proportion hallucinante, mais pas tellement surprenante, des faits d’agression à caractère sexuel vécus par les femmes dans l’espace public et les transports.

En 2016, la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (FNAUT) publiait une étude qui démontrait que 87 % des usagères interrogées avaient déjà été victimes au moins une fois de violences sexistes et sexuelles dans ces lieux x (violences à hiérarchiser en fonction des faits : cela va du sifflement à l’agression verbales ou physiques). Pour 71 % d’entre elles ces actes constituaient des infractions pénalement répréhensibles mais seulement 2 % avaient porté plainte.

Depuis la loi d’orientation des mobilités (LOM) de 2019, le ministère chargé des transports est chargé de publier chaque année un bilan national des atteintes à caractère sexuel ou sexiste dans les transports. Les bilans 2020 2021 2022 font état de 3 550 atteintes sexuelles et sexistes environ (dont 76% dirigées vers les femmes) 

  • 34% sont des atteintes sexuelles avec contact (viols et tentatives de viols, attouchements sexuels…) ;
  • 34% sont des atteintes sexuelles sans contact (harcèlement, exhibition, voyeurisme, notamment le « upskirting » qui consiste à filmer ou photographier les sous-vêtements des femmes) ;
  • 31% d’outrages sexistes (sifflements, gestes ou bruits obscènes, propositions sexuelles…).

… pourtant sous évalués …

Selon le Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI), sur les 57 000 plaintes pour violences sexuelles enregistrées en 2020 par les services de police et gendarmerie, 3 % ont été enregistrées pour des faits commis dans les transports en commun.

«Certaines victimes ignorent le caractère délictuel des atteintes qu’elles subissent, d’autres insèrent ces violences dans leurs déplacements quotidiens et estiment qu’une démarche serait inutile, enfin le sentiment de honte ressenti par certaines femmes les empêche de dénoncer les agressions.» Sans compter que la crainte de l’accueil qui leur sera réservé par les forces de l’ordre reste encore une barrière pour nombre de victimes. Sur les 3 500 témoignages de femmes ayant porté plainte ou souhaité le faire pour violences de genre récoltés par le collectif féministe Nous Toutes en 2021, 66 % rapportaient de mauvaises expériences en commissariat ou gendarmerie.

et un impact comportemental

En France, 80% des femmes ont peur de rentrer seules chez elles le soir. 48 % d’entre-elles adaptent leur tenue vestimentaire pour emprunter les transports en commun. 63% des femmes ont déjà été sifflées dans la rue

De nombreuses enquêtes et rapports soulignent le harcèlement et les agressions dans les espaces publics et les transports à l’égard des femmes génèrent un sentiment d’insécurité. Ce sentiment peut avoir des répercussions significatives sur leur liberté de mouvement en ville et en zone rurale , limitant par exemple leurs choix d’itinéraires ou les horaires auxquels elles choisissent de se déplacer. Elle peut également avoir un impact psychologique fort.

Pour le Dr Julie Geneste-Saelens, psychiatre et référente CUMP 63 (*) ce qui nourrit le sentiment de sécurité repose sur un triptyque :

  • le respect: celui de se déplacer librement, de ne pas se sentir marchandisé, de ne pas rentrer dans sa bulle de confort, physiquement (trop proche) ou virtuellement (regards)
  • la confiance, en soi notamment mais également dans son environnement (l’un des pires traumatismes vient du sentiment d’impuissance vécu par les victimes)
  • et la transparence, notamment de ce qui peut être activé en cas de difficulté.

Les leviers d’action

Jean Louis Thevenon, Vice Président de la FNAUT Auvergne, rappelait les pistes proposées par la fédération; De nombreuses associations ont également contribué à faire émerger de nouveaux outils. Un certain nombre ont connu des mises en œuvre opérationnelles.

Intensifier la sensibilisation

  • Des campagnes deux exemples :
    • Une campagne de Clermont Auvergne Métropole dans le cadre du projet Fem’Act
  • Une campagne « Levons les yeux« , conçue par Simone Média et le Gouvernement. Là, l’idée est de mettre fin à l’inaction/indifférence. On trouve dans ce guide l’incitation à appliquer la méthode des 5D : distraire, déléguer, documenter, diriger, dialoguer
  • Des interventions de prévention et éducation sur la question du harcèlement et du sexisme dans les écoles et les lieux de travail, réalisée notamment par la Maison de Protection des Famille

Eduquer, former,

  • Intensifier la formation des personnels notamment de Gendarmerie et de Police, mais également de ceux qui sont susceptibles d’être les premiers à recueillir la parole
    • développement d’outils de formation (cf Arrêtons les violences)
    • adaptation des modalités de recueil de la parole. Par exemple, les déclarations des victimes auprès des urgences psychiatriques peuvent être transmises directement pour les dépôts de plainte, évitant ainsi l’obligation de répéter.

Utiliser le numérique

  • Développement d’outils digitaux
    • Application par exemple The Sorority une appli qui se propose de constituer une communauté d’entraide.
      • Divers facteurs psychologiques sont activés dans les cas d’agression ou de situation de violence. Leffet de sidération (le blocage physique et/ou psychologique de la personne agressée). Ou leffet témoin (l’inaction du public témoin de l’action). L’idée première était l’inversion de cet effet de sidération : le déporter sur les épaules de la personne qui agresse, grâce à la mobilisation collective et immédiate de la communauté. La personne se retrouve dans un contexte et situation non prévus initialement, elle doit s’adapter aux nouvelles informations de son environnement et ne peut poursuivre ses actions. La seconde idée primordiale était enfin l’utilisation de la technologie au profit de l’humain.
      • ​Les interactions prennent diverses formes selon les besoins, le moment et les affinités. Via la carte pour trouver une aide de proximité. Via la mise à disposition d’un lieu sûr pour fuir au plus vite. Ou la recherche pour trouver à tout moment du soutien, une écoute attentive et bienveillante. Ou enfin, via le chat ou par appel pour des échanges et une aide immédiate ou en continu.

Aménager l’espace et les services

  • Des services et aménagements pensés pour sécuriser
    • Les marches exploratoires constituent un outil efficace pour établir un diagnostic de l’espace public. « … menées par un groupe de femmes dans leur quartier d’habitation. Ces « marcheuses » identifient les éléments d’aménagement du territoire qui sont à l’origine d’un sentiment d’insécurité. Puis, elles élaborent des propositions d’amélioration de la situation.
    • Ces préconisations peuvent porter sur différents leviers. Sur l’éclairage public, la présence humaine dans les transports notamment des médiateurs, la bonne fréquence des transports pour éviter la surpopulation ou encore le déploiement de l’arrêt à la demande.
    • enfin, la question des aménagements réservés illustrés par le projet Pink Zone.
      • C’est sans doute le témoignage le plus clivant. Cinq étudiants de Centrale Supélec ont remporté la 4ème édition du Rail Innovation Challenge de FERROCAMPUS. Le projet présenté ? Pink Zone, inspiré d’expériences menées au Japon, en Corée et à Dubaï notamment. Un wagon, à proximité immédiate du chauffeur réservé aux femmes et identifié comme tel.

Clivage

Clivant parce que deux philosophies se confrontent. Celle très opérationnelle et concrète défendue par les étudiants. Une solution qui contribue à régler le problème immédiat en créant des zones de protection et en activant la solidarité féminine. Et celle très sociétale, portée par le Haut Commissariat à l’Egalité entre les femmes et les hommes. Dans son avis sur le harcèlement sexiste et les violences sexuelles dans les transports en commun, le HCEFH identifiait 4 points de vigilance :

  • Solutions non mixtes qui renforceraient la ségrégation sexuée et sexiste de l’espace public. Et s’inscriraient dans une vision défensive des rapports sociaux. (ex : wagons ou bus réservés aux femmes).
  • Recours à des messages inappropriés qui renforcent le sentiment d’insécurité. En particulier des femmes. Ex : « évitez les lieux déserts, les voies mal éclairées, les endroits sombres où un éventuel agresseur peut se dissimuler »). Et la culpabilisation des victimes et des témoins (ex : « évitez de prendre les transports dans une tenue « sexy »).
  • Non reconnaissance du caractère sexiste d’un phénomène qui exprime la domination masculine par le contrôle du corps des femmes.
  • Présentation globalisante projetant tous les hommes en agresseurs potentiels, en parlant «des hommes» plutôt que «des hommes auteurs».

Cet événement organisé par Orbimob s’est appuyé sur les échanges et expertises apportés par

  • le Docteur Julie Geneste-Saelens, Psychiatre, référente CUMP 63. Le CUMP est un dispositif qui dépend du Samu. Il a été créé après l’attentat du 25 juillet 1995 à la Gare Saint Michel RER B. Le CUMP a  pour objectif d’assurer la prise en charge des victimes confrontées à un événement psycho-traumatisant. Ces victimes nécessitent des soins d’urgence au même titre que les blessés physiques.
  • Jean-Louis Thévenon, Vice Président FNAUT Auvergne. La Fédération Nationale des Associations d’Usagers des Transports,  conseille et défend les usagers de tous les modes de transport. Elle les représente auprès des pouvoirs publics et des entreprises de transport. Elle s’efforce d’infléchir la politique des transports et de l’aménagement du territoire. Elle défend le droit au transport public pour tous, des déplacements sûrs et agréables. Et ce, pour les piétons, les cyclistes urbains, les randonneurs pédestres et les cyclotouristes. La diminution de la violence routière. La protection de l’environnement rural et naturel, la réduction de l’effet de serre. La réduction des coûts économiques, écologiques et sociaux des déplacements. 
  • l’adjudante Aurélie Villard de la Maison de protection des familles, Groupement de gendarmerie départementale du Puy de Dôme
    • Les Maisons de protection des familles renforcent l’engagement de la gendarmerie dans le suivi et l’accompagnement des victimes de violences conjugales.
    • Ce dispositif a été acté au 1er août 2021. Il intègre des militaires formés aux violences intrafamiliales (VIF). En lien notamment avec les partenaires locaux associatifs, les personnels des plateformes hospitalières et les intervenantes sociales en gendarmerie, ils ont vocation à accompagner et suivre les victimes de violences. Ils assurent notamment une permanence 24h/24, 7j/7.
    • Elle a vocation aussi à mener des actions de sensibilisation et de prévention en matière de violences, notamment en milieu scolaire.
  • Et enfin, à distance, l’équipe fondatrice de la Pink Zone, Arthurs Carpentier, Justine Chaplain, Margaux Forestier, Léna Sobreira et Jules Arbutina, Etudiants en Mastère spécialisé Innovation et Transformation à CentraleSupélec, 
vainqueurs de 4ème édition du Rail Innovation Challenge de FERROCAMPUS.