S’inspirer de la nature pour transformer ses activités et ses business model. C’est une des stratégies développées par les équipes de R&D de Michelin. A travers le concept du pneu « Vision », Cyrille Bonnet, Directeur de la communication technique et scientifique du groupe, nous expose comment les chercheurs tentent de trouver de nouvelles approches pour répondre au défi de « Michelin in motion 2030 ».

Cyrille, avant de parler des dernières innovations chez Michelin et des ses ambitions stratégiques, parlez-nous un peu de vous.

Je suis né à Djibouti en 1968. Avec un père militaire, j’ai surtout vécu en Outre-mer avec également quelques passages au Sénégal et en Allemagne.
J’ai toujours été passionné d’aviation et je le suis toujours d’ailleurs. Après mon doctorat en mécanique des fluides à Toulouse à l’ONERA, le centre français de recherche aérospatiale, j’ai intégré Michelin en 1997 pour travailler sur la ligne « produits avion ». Dessiner et designer des pneus avion est un métier très particulier et j’ai donc dû suivre une formation spécifique.

Pendant plusieurs années, j’ai encadré une dizaine de personnes de R&D et nous avons cherché à rendre les pneus plus légers, plus résistants et plus durables dans le temps.
J’ai d’ailleurs eu la chance de travailler sur la remise en service du Concorde grâce aux pneus NZG, Near Zero Growth, sans lesquels le Concorde n’aurait pas pu voler.

Cela fait 25 ans que vous travaillez chez Michelin. Vous avez dû faire plusieurs métiers ?

En effet, en 2007, je bascule sur les pneus voitures comme responsable des programmes et des projets recherche avancée. Cela va de la R&D jusqu’à la mise sur le marché des nouvelles gammes.
Ensuite, je suis parti quelques années à Greenville au siège de Michelin Amérique du Nord pour des missions de marketing.
À mon retour, j’ai intégré les équipes de communication. 

Je fais aujourd’hui l’interface entre les équipes de recherche et les équipes de communication. J’essaie de traduire et de vulgariser toutes les innovations du groupe pour les rendre intelligibles par tout le monde.

Vous êtes le porte-parole des innovations scientifiques… C’est dans ce cadre-là que l’on voulait en savoir un peu plus sur le projet “Vision” qui a beaucoup fait parler de lui il y a quelques années et qui se basait sur le principe du biomimétisme.

Depuis ses débuts, Michelin a toujours été visionnaire. Le groupe a su anticiper l’avenir et préparer les innovations bien avant que les réglementations ne les imposent.
On peut prendre l’exemple des bornes kilométriques ou des pneus démontables. Ces grandes innovations sont nées chez Michelin, à Clermont-Ferrand.

Du fait de cette vision très long terme, le groupe a pendant longtemps entretenu une culture du secret. Dans les années 2000, la stratégie a changé et on s’est beaucoup plus ouverts aux partenariats. Aujourd’hui nous avons plus de 250 partenariats en open innovation.

Le projet “Vision”, est la volonté de Michelin de montrer sa capacité à se projeter dans le futur du pneu. Il s’appuie sur deux axes fondamentaux. En plus des leviers stratégiques de recherche, Michelin affirme ici l’importance d’une approche qui s’inspire de la nature.

Source : Michelin

On est donc en plein dans le principe du biomimétisme.

Oui. Les équipes design se sont demandées si on pouvait trouver dans la nature des exemples fonctionnant comme un pneu. C’est-à-dire, à la fois souple et rigide, pour résister aux sollicitations. Ils ont découvert que les structures des coraux avaient ces propriétés. 
On visualise la partie du corail très dure, voire tranchante, pourtant il y a également une autre partie composée des grandes feuilles coralliques. L’accroche est très rigide tandis que l’extrémité de la feuille est très souple.
C’est cet être vivant qui a inspiré le pneu “Vision”.

C’est-à-dire ? Est-ce que vous pouvez nous expliquer la structure de ce pneu ?

La partie centrale qui s’accroche à la voiture est extrêmement rigide et solide. C’est elle qui doit lier les efforts entre le sol et la voiture. Plus on va vers l’extérieur, plus la matière est lâche et souple. Elle permet de s’écraser sur la route comme le fait un pneu. Elle combine les caractéristiques de confort et d’adhérence des pneus Michelin.

Quel est le temps nécessaire pour mettre en œuvre un projet innovant de ce type ? Est-ce que vous devez passer par plusieurs niveaux d’autorisation et de validation ?

Ça a été très court. L’idée a émergé en 2016, et le projet a été présenté au Moving On Summit en juin 2017.
En revanche, il ne faut pas tout mélanger, le projet “Vision” est un concept, pas un prototype. On peut presque le considérer comme une œuvre d’art. D’ailleurs, on a été exposé au Museum de New York.
Lorsque l’on développe un concept, on est sur le  long terme. C’est un objet démonstrateur de nos technologies, mais on ne peut pas l’installer sur une voiture.
Il est basé sur des technologies de recherche actuelles qui ne sont pas encore assez avancées pour pouvoir le faire rouler. Il est donc différent d’un prototype.
Le prototype est un objet roulant homologué que l’on peut faire rouler sur des pistes d’essais.

Vous avez mentionné un des axes autour de l’innovation qui “s’inspire de la nature”. Comment cela s’inscrit-il dans la stratégie globale de l’entreprise ?

La vision du groupe a été officialisée. Nous voulons développer un pneu durable à l’horizon 2050. Que veut-on dire par “durable” ? D’abord, c’est un pneu sans air. C’est là que le biomimétisme intervient et le travail entamé avec “Vision”. C’est ce qui nous a permis de dimensionner la structure pour qu’elle puisse supporter la charge.

Ensuite, nous voulons que 100 % des matériaux soient des matériaux durables. C’est-à-dire biosourcés et renouvelables. Nous sommes très vigilants sur le principe du renouvelable. Il doit être renouvelé à l’échelle d’une vie humaine. Par exemple, un arbre est renouvelable, le sable ne l’est pas. C’est un rapport au temps qui est différent.

L’utilisation de matériaux recyclés provenant de déchets est aussi une approche inspirée de la nature. A travers l’analyse du cycle de vie, on diminue l’empreinte environnementale de nos activités.
Michelin impose une analyse de cycle de vie sur toutes les nouvelles gammes avant leur mise sur le marché et souhaite le déployer à termes sur les gammes existantes. Nous sommes le premier manufacturier de pneus à rendre ces analyses publiques et disponibles. 

Est-ce que le groupe travaille sur d’autres innovations pour aboutir à un pneu durable ? 

Oui. Nous  travaillons également sur une technologie pour recycler les pneus. On pyrolyse des pneus en fin de vie, ce qui permet de récupérer le noir de carbone. On peut ensuite remettre cette matière dans de nouveaux pneus. C’est un peu comme si on pouvait récupérer l’ingrédient “farine” d’un gâteau qui n’a pas été mangé. 

Aujourd’hui, les pneus sont passés dans des machines pour fabriquer des granulats de pneus. On ne peut en utiliser qu’une petite quantité, car ils ont tendance à détériorer la performance du pneu.
Nous travaillons également sur une boucle plus longue avec Carbios. On souhaite réutiliser le plastique des bouteilles pour refaire du PET neuf que l’on pourra intégrer dans les pneus.

Nous avons aussi développé un partenariat avec Pyrowave pour le recyclage de polystyrène. Vous ne le savez peut-être pas, mais la plupart des pots de yaourt sont en polystyrène et on ne sait pas recycler cette matière.
Grâce à la technologie issue de cette collaboration, “ micro-wave, nous allons pouvoir recréer le styrène qui est également un composant du pneu. 

Michelin a  annoncé une feuille de route très ambitieuse, au-delà du pneu durable pour les prochaines années…. 

Notre feuille de route “Michelin in motion 2030” est notre plan stratégique qui vise à utiliser, ce que l’on appelle, nos capacités distinctives. C’est-à-dire s’appuyer sur ce que l’on a appris des matériaux pour développer des activités autour des pneus ou au-delà des pneus.

Par exemple autour de l’hydrogène, des matériaux composites ainsi que le médical. Nous avons identifié de nombreuses opportunités notamment sur la formulation des polymères. D’ici 2030, 30 % de notre chiffre d’affaires devra se faire sur des activités hors pneus.

C’est l’instant carte blanche, vous avez quelque chose à ajouter ?

Je suis très fier et très excité de travailler chez Michelin dans cette période. On voit qu’un changement majeur est en train de s’opérer. Il y a une accélération de la prise de conscience de l’impact que l’on peut avoir dans les mobilités durables de demain.

Je pense que l’on vit une période excitante pour l’innovation et je suis heureux d’être dans cette position pour pouvoir la raconter.