Le 27 avril avait lieu une soirée, organisée par Femmes Leaders Mondiales, autour du thème “femmes & numérique, la complémentarité des sexes”. Coordonnée par Audrey Pouchol, cette soirée a donné la parole à la présidente fondatrice, Nicole Barbin, à Blandine Galliot, conseillère métropolitaine en charge du numérique, au préfet Chopin. Puis au témoignage en forme de parcours de vie de Clotilde Petit, cofondatrice de PulseLife.

Vous n’y étiez pas ? Vous pourrez retrouver le replay de l’intégralité dès la semaine prochaine.

Il y avait également une table ronde, que j’ai eu plaisir à animer. En la préparant, j’ai eu plein de discussions. Souvent très animées, avec les intervenantes et avec d’autres, des femmes et des hommes, le moins que l’on puisse dire, c’est que cela reste un sujet qu’on pourrait qualifier de clivant. 

Même parmi les femmes.

Entre celles qui sont favorables ou, au contraire, arc boutées contre les quotas,

Celles qui sont convaincues qu’il existe des aptitudes féminines innées ou au contraire, qu’elles ont été inculquées par la force de l’histoire de l’humanité et surtout du paternalisme, 

Celles qui honissent le mot féministe ou au contraire le revendiquent … 

L’idée de cette conférence n’était pas de renforcer le clivage mais plutôt de s’orienter solutions à partir d’une certitude : “une masse critique de 30 à 40% du sexe opposé est nécessaire pour impacter durablement les codes, la culture, l’ambiance, l’environnement de travail d’une entreprise.” 

Voilà, il faut de la mixité et de l’équilibre. Partout. Parce que c’est ce qui permet d’éviter les comportements communautaires.

Ouvrir les yeux.

Pour autant, il faut reconnaître qu’il existe des freins spécifiques, et tout un enchevêtrement des cause & conséquences. Pour les synthétiser, on peut prendre appui la théorie des 5M, conçue par l’américaine Candida Brush, l’australienne Anne de Bruin et la suédoise Friederike Welter. En 5 points, un résumé des travaux de recherche sur les conditions de réussite, ou les freins, à l’entrepreneuriat féminin. 

  • Macro- Meso : les tendances, valeurs, croyances, normes sociales, en bref, l’héritage culturel 
  • Money : tout ce qui a trait à l’accès au financement, avec la question de l’impact des stéréotypes de genre, les biais, les auto limitations
  • Maternité, au sens de la sphère privée, dans laquelle on peut retrouver tous les sujets liés aux multi vies, à la répartition des tâches ménagères, aux injonctions sociales, à la charge mentale …
  • Marché, là il s’agit du sens investi dans la création d’entreprise ou le travail, des motivations, avec un sujet autour du rapport au business versus l’affect ou l’utile 
  • Et enfin, le Management, avec notamment le sujet de la délégation (en l’occurrence, la difficulté à ne pas tout faire et tout maitriser)

Des freins spécifiques, indéniables.

Au travers de ces 5 M, on balaie les sujets des perceptions ancrées des rôles différenciés à assumer par les femmes et par les hommes, celui de l’éducation genrée, qui définit une échelle de valeurs et de priorités, des choix d’études qui en découlent, un rapport à l’ambition souvent différent qui se traduit notamment dans le rapport à l’argent, un retard persistant sur le partage des tâches domestiques, surtout à l’arrivée d’enfants, un mode de fonctionnement du monde du travail inadapté avec la question du présentéisme, des horaires tardifs qui permettent les petites discussions qui créent des liens qui eux mêmes créent des phénomènes de cooptation…  

Le sujet de la conférence était celui de la présence des femmes dans le secteur du numérique. Ou plutôt de l’absence des femmes dans ce secteur.  Et en fait, la question, plus cruciale encore dans un contexte de pénurie de candidats, est de savoir si des pans entiers de notre économie peuvent se passer de la créativité de 50% de la population. Le sujet du jour concernait le secteur du numérique, mais ce pourrait être celui du bâtiment ou à l’inverse, de l’aide à la personne.

Alors, qu’est ce qui détermine l’attractivité d’un secteur ou au contraire sa « répulsivité » ? Et surtout, ce que l’on peut y changer et pourquoi on devrait le faire. Ces constats sont aujourd’hui très bien documentés, très étudiés, parfaitement chiffrés.  Il est quand même nécessaire de les rappeler, rapidement, histoire d’être sûrs de partager le même socle de départ.

Les chiffres : un point de départ commun.

Petit rappel des chiffres avec Nathalie de Peufeilhoux, du pôle WAI de BNP Paribas. Son poste l’amène à la fois à intervenir sur les questions de financements des entreprises innovantes et également à s’impliquer dans l’écosystème local et plus particulièrement sur les sujets RSE, égalité, …

Les femmes représentent 48% de la population active en France. Elles ne représentent déjà plus que 40% dans l’ensemble des start-up françaises, 31% parmi les managers dans les start-up. Parmi les 120 start-up les plus en croissance en France (le FT120), il y a aujourd’hui 14 femmes co-fondatrices et CEOs.  En 2021, 88% du montant total levé par les start-up françaises revient à des équipes de fondateurs 100% masculines. Au sein du Next40, les 40 premières du classement, il n’y aucune femme CEO. À ce phénomène s’ajoute le fait que les fonds d’investissement, eux-mêmes très masculins, viennent accroître la part des hommes dans les conseils d’administration des start-up. On peut également ajouter un écart de salaire persistant, de l’ordre de 19%, sur les postes les plus élevés.  Et enfin, le fait que 40% des femmes du secteur numérique le quitte au bout de 10 ans… (chiffres à retrouver dans le Pacte Parité French Tech)

L’oeuf et la poule

Pourquoi faudrait-il que cela change ?  Parce que la mixité, même au-delà de la féminisation, stimule la créativité, la performance et la résilience.

Laure Prévault Osmani et  Alexandra Pinaud, respectivement Directrice Générale et DRH, sont confrontées à ce sujet de prééminence masculine dans certains métiers. Elles travaillent sur le cadre managérial pour renforcer la notion d’égalité. Mais en amont, il faut recruter et elles font le constat d’un déficit de candidates. Alors, comment faire naître des vocations ? Beaucoup de réseaux déploient des programmes d’interventions en collèges et lycées, amenant des femmes à témoigner, parler de leur métier, raconter leur parcours. C’est tout l’enjeu des Roles Models.

Susciter activement les vocations

Il faut montrer que c’est possible. Simplon, l’école qui forme aux métiers du numérique des profils éloignés de l’emploi, développe des méthodes de ‘sourcing’ de candidats très offensives. Pour Loïc Marie Dalmas Reina, la directrice de l’école de Clermont, il faut aller chercher les profils de manière très pro actives parce qu’ils ne viendraient pas spontanément.  Les femmes notamment, souffrent d’un biais de sous estimation chronique et également de préjugés. Simplon a ainsi développé Sas Hackeuse. Une session de 6 semaines, exclusivement dédiée aux femmes. Une sorte de sas donc, utile pour dépoussiérer ses préjugés, découvrir l’univers tech en diminuant la pression liée au sentiment de manque de légitimité. On peut se crisper à l’idée de ce temps en ‘non mixité’, n’empêche que ça marche.

Alors que 21 à 28% des effectifs d’apprenants sont féminins, ce taux frise les 50% pour celles qui sont passées par le sas et rejoignent les formations. Pour Loïc Marie, l’enjeu est multiple. Il faut sourcer autrement pour varier les profils, et pas seulement féminin. Il faut aussi créer le continuum avec les entreprises. Varier les profils, cela veut dire laisser tomber le sacro-saint CV et écouter les histoires de vie, découvrir les personnalités. Accepter de prendre de la distance par rapport à ses propres biais justement, pour recruter des profils moins homogènes. Et il faut aussi qu’au-delà du recruteur, les équipes soient prêtes à l’acceuillir. Ca s’anticipe.

Créer un continuum école-entreprise

Alexandra Pinaud, est DRH chez Braincube, une entreprise de culture industrielle dans un environnement international. Elle a fait l’expérience de ce mode de recrutement et en est très satisfaite. Plus globalement, depuis que son équipe RH s’est un peu plus structurée, elle a pris le temps de l’analyse et a construit son plan d’action. Son prisme, c’est celui de la qualité de vie au travail. Pour tous. Et toutes.

L’idée étant que chacun dans l’entreprise doit se sentir considéré, là où il est. Alertée par les propos d’une collaboratrice qui, suite à des mouvements internes ou des départs, se retrouvait seule femme dans une équipe, elle met en place progressivement un nouveau cadre managérial. Son objet: faire progresser la parité et l’égalité. Ce, sans prosélytisme, en affichant la volonté d’égalité à tous les échelons de l’entreprise et en donnant des gages (Braincube vient par exemple de mettre en place le congés menstruel) et en travaillant sur la prise de conscience, en organisant des ateliers sur les discriminations et les biais.

Elle a par exemple transformé les modalités de promotion interne. Jusque là, les nouveaux managers étaient choisis par leur management. Depuis peu, les postes à pourvoir sont ouverts en interne et les femmes encouragées à postuler. Elles sont également accompagnées. Parce qu’il faut être conscient, et convaincu, que le syndrome d’imposture et de manque de légitimité est une réalité, bien plus marquée chez les femmes, il faut faire avec et compenser. 

Un cadre managérial de confiance

Constat complètement partagé par Laure Prévault Osmani, DG de Sabi Agri, qui conçoit des tracteurs électriques et agroécologiques. En tant que cheffe d’entreprise, elle a placé la question de la parité au coeur de la culture d’entreprise. Factuellement, les femmes sont moins enclines à revendiquer des augmentations de salaires ou des promotions. Ce qui donne lieu à des écarts de salaire quand l’organisation laisse une place importante à la négociation. L’adoption de grilles de salaires complètement transparentes contribue à un cadre de confiance et à maintenir l’équilibre.

Elle dit aussi qu’il faut faire évoluer les grilles de lecture des comportements au travail. L’équilibre pro/perso est un objectif, encore difficile à gérer plus particulièrement pour les femmes. Il se trouve que c’est également très attendu par les nouvelles générations si difficiles à recruter et fidéliser. Chez Sabi Agri, ne pas prendre son congés paternité est plutôt mal vu.

Encore du chemin à parcourir

Malgré ce, chez Braincube comme chez SabiAgri, les équilibres ne sont pas atteints. Quand on atteint 30 ou 40% de femmes dans l’entreprise en chiffres macro, la réalité de la répartition à l’intérieur des services demeurent genrée. Les hommes dans la tech et les femmes au marketing et aux RH. Pour Laure Osmani, on ne peut pas demander aux entreprises de tout faire. Il faut que les écoles fassent leur part, et qu’elles se fixent des quotas puisqu’il apparait que rien d’autres ne fonctionnent. Mais ce que peuvent faire les entreprises, c’est aussi de prendre conscience de leurs propres biais lors des recrutements et de ceux des femmes. Là encore, elle constate que les femmes sont moins préparées à s’affirmer et à se vendre. Lorsqu’on l’a compris et admins, on peut aller corriger sa perception première pour comparer deux candidats.

La visibilisation, premier challenge.

Convaincue que la visibilisation de la situation des femmes doit être la mère des combats, elle souhaite, en tant que nouvelle co-présidente de la French Tech Clermont Auvergne,  développer des outils d’évaluation. Il faut des indicateurs pour agir. Si elle admet que les femmes ont leur part de responsabilité et doivent faire taire la petite voix de la sous estimation, elle estime aussi qu’on ne doit pas nier le rôle de l’environnement. Il faut laisser de la place.

Le Galion Project a publié un Gender Agreement qui propose 45 mesures simples et concrètes aux entreprises pour instaurer un meilleur équilibre hommes/femmes dans leurs équipes. La French Tech nationale aussi d’ailleurs, avec  le “Pacte Parité”. On y parle “culture de l’égalité”, respect et exemplarité, volontarisme dans le recrutement et adaptation dans les approches. Mise en visibilité et valorisation. Mais également, organisation et congés maternité,  facilitation et aménagement des conditions de travail. Ou encore, objectivation des grilles de salaires et processus de promotion, confiance et role models… 

Prendre conscience – agir

Claude Barbin, Président de la CCI du Puy de Dome, rejoignant la table ronde pour contribuer à la conclusion, l’affirme : les choses ont bien commencé à bouger. L’environnement familial et l’éducation ont un rôle majeur à jouer pour continuer et accélérer. C’est là d’abord que se créent les références qui impacteront les futurs adultes dans leurs relations sociales et professionnelles. L’entreprise ensuite peut prendre sa part et notamment en prenant conscience et en mettant en place les garants de l’égalité des chances.

In fine, plusieurs éléments apparaissent consensuels. D’abord, la volonté de ne pas opposer les genres, délétère en entreprise. Mais plutôt de faire ensemble parce que la mixité  est le sujet de tous. La nécessité aussi d’inciter les femmes à prendre conscience de leurs propres biais et à oser les dépasser. Considérant que nous sommes parfois nos meilleures ennemies.  Et puis, Puisqu’on n’agit bien que sur ce que l’on connaît bien, l’intérêt de mesurer, compter, évaluer … Cela pourrait se traduire par un baromètre territorial. Et enfin, la nécessite de combiner actions à courtes échéances, rapides à mettre en oeuvre et actions plus long terme (comme les interventions dans les collèges et lycées pour accroître la part de filles dans les formations tech).