Par Damien Caillard

« C’est une bonne situation, scribe ? » se demandait-on déjà à l’époque des pharaons. Marie-Pierre Demarty, free-lance spécialisée dans la rédaction de textes haut de gamme, en est convaincue. Parce qu’elle aime son métier, mais aussi parce qu’elle a très fortement participé au développement d’Epicentre Factory depuis ses débuts. Au point d’en prendre la présidence depuis le 25 novembre dernier et d’orienter le tiers-lieu historique clermontois sur les enjeux de transformation environnementale.


Tu revendiques une approche très “frugale” du numérique …

Ce qui m’intéresse, c’est le sens des choses. (…) C’est une question de génération. J’ai 55 ans, et j’ai vécu plus longtemps sans internet qu’avec … J’ai cette sensibilité écologique qui est pour moi assez liée aux questions de frugalité. Mes parents m’avaient éduquée avec [cela]. L’idée de la croissance infinie est absurde pour moi, je l’ai intégré très tôt ! Et la technologie, la consommation, souvent occultent le sens. Je peux trouver bien plus de sens à discuter avec des gens autour de la cheminée qu’à utiliser des réseaux sociaux.

Par exemple, à l’âge de 20 ans, j’ai décidé de ne pas avoir de télé car je me suis rendue compte que par facilité, ça m’empêchait de faire des choses plus intéressantes. (…) J’ai un smartphone depuis 6 ans, et cela ne fait qu’un an que je l’ai connecté à internet, car du moment où – suite à mon déménagement – j’ai commencé à prendre le train tous les jours, ça devenait utile.

Cette question du sens, comment la transcris-tu dans ton entreprise, “la Plume Agile” ?

J’y propose toutes les compétences autour de l’écriture et du texte, de la rédaction pure, du conseil en stratégie éditoriale (notamment pour des sites internet), de la reformulation, de la correction, et tout ce qui est prise de notes en réunion, compte rendu, rapports.

Je suis spécialisée dans le texte “haut de gamme”, de qualité sur la forme et sur le fond. Je veux ainsi aider mes clients à réfléchir sur le sens, la mise en valeur de leur message. (…) La plus-value de mon travail, c’est ce que j’appellerais “l’expérience lecteur”, l’équivalent de l’expérience utilisateur pour le texte. Je suis conseillère sur les supports, les stratégies d’approche …

D’où vient ce goût pour l’écriture ?

J’ai découvert que j’aimais bien écrire .. en écrivant. (…) Mon père était cadre à La Montagne. Il m’a fait rentrer à la rédaction locale de Clermont, comme job étudiant, vers 1985 (…) et j’ai pu entrer à l’ESJ de Lille. J’ai [été] en contact avec des journalistes bien sûr, mais [également] des typographes à la Montagne, qui avaient une vraie culture du texte.

En pleine prise de notes pendant un événement. L’activité principale de Marie-Pierre consiste à travailler sur de la rédaction de textes, de la prise de notes à la mise en page.

Après, j’étais journaliste en PQR pendant 10 ans, entre la Montagne, le Journal du Centre à Nevers, Nord Littoral et la Voix du Nord. J’ai beaucoup aimé l’expérience à Nord Littoral, une petite équipe de seulement 10 personnes, très dynamique.

Tu nous parles du Ch’Nord, mais comment es-tu revenue en Auvergne ?

Vers 99-2000, j’ai basculé sur les métiers de la culture, avec une année d’études à Nanterre sur la gestion du spectacle vivant. Je suis partie dans les scènes nationales et les théâtres, à Belfort, à Lyon … je multipliais les contacts avec les gens du spectacles, les artistes …et c’est par hasard que des artistes auvergnats rencontrés à Lyon m’ont fait revenir à Clermont, où j’ai travaillé 15 ans dans la production pour des compagnies de spectacle. (…) Ca a correspondu avec la création du Transfo, avec lequel j’ai beaucoup travaillé.

Je suis née ici, mais mes parents venaient de s’installer. Mes racines familiales ne sont pas du tout à Clermont ! (…) En revenant ici, je me suis peut-être un peu “lâchée” en m’engageant dans des projets. J’avais juste un autre rapport au territoire ! En tant que journaliste, tu explores le territoire dans toutes ses dimensions, mais tu dois maintenir une certaine distance. Toutes ces expériences m’ont énormément enrichie.

Est-ce ce qui t’a amenée à co-fonder Epicentre ?

J’ai pu rencontrer les gens du B.O., un collectif orienté arts, design, qui [avaient] un bureau partagé rue Savaron. Et c’est là que j’ai entendu parler du projet Epicentre – je connaissais Ema [Emmanuelle Perrone] et Clem [Clémentine Auburtin] à travers les réseaux culturels; elles avaient présenté le projet Epicentre à la petite Coopé, lors d’une table ronde. On était en octobre-novembre 2011. Je me suis dit : je veux faire partie de l’aventure ! Le B..O. était bien, mais Epicentre promettait des valeurs de rencontre, d’ouverture, bref de tiers lieux, qui me motivaient beaucoup.

En juillet 2012, l’association Epicentre s’est créée … et j’étais dans le C.A. ! Pendant un an, on a cherché puis trouvé un lieu, celui du 25 rue des Gras. C’était une période très chouette ! On était tous bénévoles, tout le monde était très impliqué – on n’était que 10 à 15 par jour. Une belle ambiance, chaleureuse, où on était tous sur la même longueur d’onde, où on fêtait n’importe quoi … et le côté où on accueillait nous-mêmes les gens (…) apportait un vrai sens au projet.

Marie-Pierre est de dos, à gauche, sur cette photo de l’atelier du 23 octobre pour imaginer le nouvel Epicentre avec les sociétaires et les coworkers.

Avec le recul, que t’as apporté Epicentre ?

Je saturais dans mon métier lié au spectacle – trop de dossiers à gérer en parallèle. Par ailleurs, j’ai trouvé très enrichissant de voir la créativité en termes d’organisation, de comment on entreprend, comment on “fait” à Epicentre … Je me suis rendu compte que j’aimais toujours écrire en “m’emparant” du blog d’Epicentre, et que ça plaisait aux copains ! Ca pouvait être une compétence à exploiter.

Je suis donc partie sur ce nouveau projet, qui était relativement peu risqué. D’autant plus que mes compétences en écriture commençaient à etre plus reconnues. Le côté coworking/tiers-lieu a joué à plein pour moi ! Le 15 novembre 2014, je créais la Plume Agile.

Directement ou indirectement, toute ma clientèle vient d’Epicentre (…) [Le tiers-lieu] m’a vraiment apporté mon réseau commercial. Cela dit, ça a bien fonctionné parce que je m’y suis beaucoup impliquée.

Parles-nous de ton implication à Epicentre, aujourd’hui …

S’impliquer dans Epicentre, c’était [d’abord] faire partie du C.A. dont j’ai été trésorière. Du coup, j’étais sur la partie RH et administrative – pendant un temps ; la communication et le blog, avant le lancement de Epicentre Media. A un moment, on faisait avec Laëtitia Chaucesse une émission sur Radio Campus, “Système Co” qui explorait toutes les formes de collaboration.

Aujourd’hui, je suis présidente d’Epicentre. Quand un projet me tient à coeur, je n’arrive pas à le laisser tomber. Même s’il y a des moments difficiles, c’est important de ne pas lâcher.

Avec Emmanuelle Perrone au centre, Marie-Pierre a animé plusieurs sessions de Living Orgs, l’événement annuel dédié à l’innovation organisationnelle et managériale (ici avec Clément Neyrial en intervenant)

Comment analyses-tu la situation actuelle ?

Depuis quelques mois, on se questionnait sur le sens du projet … mon analyse : du fait que l’accueil avait été confié à des salariés, on n’a plus engagé les gens de la même façon. Et on a petit à petit perdu en implication sur le projet. Les gens venaient plus en “consommateurs” du lieu, même si la communauté reste forte.

Et quelle est la manière d’y répondre, selon toi ?

Le nouveau projet va dans le sens de relancer cela. Et nous ajoutons aussi un volet environnemental, pour insuffler une nouvelle dynamique comparable à celle des débuts d’Epicentre. A l’époque (2011 2012), très peu de monde à Clermont avait entendu parler de coworking ou de tiers-lieux. Quand le lieu s’est ouvert, on était rapidement très attirant, sur les notions de collaboration, de travailler autrement, de relationnel … aujourd’hui, ces notions sont moins nouvelles, plus admises, ce qui est une bonne chose ! On est fiers d’avoir contribué à diffuser ces notions

Mais il fallait qu’on retrouve ce côté fort du projet, qu’on ait quelque chose à “raconter” au territoire. Le sujet de l’environnement est venu assez naturellement, car beaucoup de gens à Epicentre sont sensibles à ce sujet. Soit des gens comme moi sensibles depuis longtemps, soit des gens qui évoluent dessus, qui veulent en faire leur travail principal – et notamment des gens de la jeune génération. Notre rôle, en tant que tiers-lieu, paraissait logique : c’est l’endroit où doivent se croiser des publics avec des connaissances, des opinions, des savoir-faire différents, et qui veulent créer et innover ensemble. Epicentre peut avoir un vrai rôle à jouer là dessus, pour lancer, favoriser ou fédérer des initiatives, et faire que la mayonnaise prenne.

Escale du Transsibérien à Barabinsk en 2011. Absolument rien à voir avec Epicentre, mais Marie-Pierre (au centre) est très attachée aux pays de l’ex-URSS qu’elle a visité à de nombreuses reprises. Elle y apprécie particulièrement la chaleur humaine et la variété culturelle.

La prochaine étape ?

On a lancé avec le C.A. d’Epicentre, ce 10 décembre, le projet d’avancer en impliquant le plus possible la communauté des gens autour d’Epicentre : coworkers, sociétaires, usagers du lieu, sympathisants … dans les semaines et mois qui viennent, nous allons essayer de mettre en route un certain nombre d’actions autour de ces thématiques.

Premier rendez-vous : une Belle Semaine, un événement que l’on organisait tous les ans pour mettre en valeur les savoir-faire de notre communauté. La prochaine aura lieu la semaine du 30 mars, à Epicentre bien sûr, et elle sera principalement axée sur la réponse aux urgences environnementales. On fait appel à toutes les bonnes volontés, envies et savoir faire de notre communauté pour faire de la Belle Semaine 2020 le premier événement vraiment visible sur le nouveau projet Epicentre.


Pour en savoir plus
le site d’Epicentre Factory
le site de la Plume Agile


Entretien réalisé le 17 décembre à Epicentre, mis en forme pour plus de lisibilité, relu et corrigé par Marie-Pierre. Photos fournies par Marie Pierre sauf celles de Living Orgs par Damien Caillard pour le Connecteur.