Denis Beauchamp est installé dans le Bourbonnais depuis une dizaine d’années. Il fait partie de l’association France Agri Twittos dont l’objectif est de partager sans filtre les différentes réalités du monde agricole sur les réseaux sociaux.
A travers leurs témoignages et les différents contenus pédagogique diffusés sur Twitter, ils cherchent à reconnecter agriculteurs et citoyens.

Avant de parler du monde agricole d’hier, d’aujourd’hui et de demain, parlez-nous un peu de vous.. Quelle est votre histoire ?

Je suis issu d’une famille d’agriculteurs de la Loire, éleveurs de moutons. Pour ma part, je n’ai pas suivi cette voie et je me suis orienté vers des études de commerce international. Après mon cursus, j’ai été recruté dans une coopérative agricole nationale basée à Lyon où j’étais chargé de la partie export des céréales. Après quelques années, je me suis installé dans le Bourbonnais et j’ai intégré une coopérative locale de céréales. Depuis bientôt 11 ans, je m’occupe des achats de céréales et de leur commercialisation.

Vous faites partie de l’association France Agri Twittos ? Quelle est sa raison d’être ?

C’est une association qui regroupe des professionnels du milieu agricole ainsi que des personnes qui s’intéressent à l’agriculture. Il y a une motivation commune qui nous rassemble, celle de communiquer sur les réalités du monde agricole sur les réseaux sociaux.

France Agri Twittos est né spontanément en 2017. Nous étions plusieurs à communiquer sur notre métier et à poster régulièrement sur les réseaux sociaux. Un agriculteur champenois a proposé que l’on se rencontre tous lors d’une foire agricole. Nous étions une cinquantaine au départ, et nous sommes désormais plus de 500.

Vous revendiquez fortement que vous êtes une association indépendante. De quoi parlez-vous sur les réseaux sociaux ? Comment traitez-vous les sujets agricoles ?

On raconte notre quotidien, on fait ça sans filtre. Nous parlons de notre réalité. Lorsque des personnes nous posent des questions, on explique le positif et le négatif dans nos pratiques. Par ailleurs , lorsque l’on voit passer des articles un peu sévères sur le monde agricole, on essaye d’apporter des nuances.

Comment la communication s’organise-t-elle ? Vous avez un comité éditorial par exemple ?

Non, chacun communique, comme il le veut et quand il le souhaite. Chacun s’exprime en son nom sur son compte personnel. On ajoute le hashtag #FrAgTw  pour mettre en avant des contenus pédagogiques.

Néanmoins, nous demandons à chaque personne souhaitant rejoindre l’association d’adhérer à la charte. L’important pour nous, c’est la bienveillance. Pas de réponse agressive, France Agri Twittos c’est un haut-parleur pour faire entendre les réalités de nos métiers.

On met souvent en opposition l’agriculture conventionnelle, l’agriculture raisonnée et l’agriculture biologique. Qui sont les membres de l’association ?

France Agri Twittos, c’est environ 50% d’agriculteurs , 40%  de professionnels issus du monde agricole et 10% de personnes extérieures à l’agriculture. Il y a des céréaliers, des éleveurs, un producteur de sel de Guérande, il y a des conventionnels, des agriculteurs bio.

L’objectif est que chacun puisse raconter son histoire, ses expériences. Plus il y a de profils variés, mieux c’est. Il n’y a pas de mauvais agriculteurs et de bons agriculteurs, chacun fait comme il peut de son côté, c’est ça la réalité ….

L’agriculture est un sujet qui clive. Comment gérez-vous les “haters” et les “trolls” ?

C’est vrai que les commentaires peuvent être violents. D’abord, on regarde si cette colère est justifiée. Si ce sont des faits avérés, on ne va pas argumenter, on ne peut rien y faire. Si ce n’est pas le cas, on entame une discussion et à la fin, on arrive toujours à échanger. Cela ne veut pas dire que l’on cherche à convaincre. On souhaite plutôt montrer que les choses sont plus complexes, qu’il ne faut pas avoir une approche binaire du sujet. 

On dit du monde agricole qu’il est dégradé, trop mondialisé, qu’il faut le transformer. Qu’en pensez-vous ?

Si on prend l’exemple des coopératives agricoles, dans la mienne, les adhérents peuvent s’exprimer très facilement sur le mode de fonctionnement. Néanmoins, on ne peut pas nier qu’il y a un vrai sujet de gestion de la proximité sur les plus grosses coopératives. 

Pourtant, je pense que si les coopératives n’existaient pas, la situation serait pire pour les agriculteurs. Tout est perfectible, c’est sûr, mais parfois, il faut regarder le verre à moitié plein.

Autre point. Je viens d’une famille d’agriculteurs. On ne cultive plus aujourd’hui comme on le faisait hier. Notre métier est perpétuellement en mouvement. Chaque année, nous devons faire évoluer nos modèles en fonction de nouvelles données. Les pratiques se transforment vers le mieux, mais on doit laisser du temps aux agriculteurs, car souvent, ils héritent de situations passées.

En quoi les pratiques ont-elles évolué ?

On ne doit pas penser que c’était forcément mieux avant. Aujourd’hui, il existe de nouvelles solutions très efficaces comme les logiciels de précision. Ils évaluent au gramme près quelle dose d’engrais est nécessaire pour quels types de cultures. 

Les exploitations agricoles sont de plus en plus connectées. C’est ce qui permet de faire un suivi pour chaque parcelle, de garder une trace de tous les produits utilisés. On génère énormément de données que l’on arrive de mieux en mieux à exploiter.
Par exemple aujourd’hui, 95 % de l’eau pour l’irrigation est absorbée par la plante.

Encore une fois, on voit ici des visions très différentes de l’agriculture qui peuvent s’entrechoquer. D’un côté, on a des paysans sur des petites surfaces avec très peu de mécanisation, et de l’autre, il y a ces grandes exploitations qui utilisent énormément de technologies. Est-ce que vous pensez que ces deux mondes sont réconciliables ?

Il ne faut pas opposer les modes de productions. Je ne pense pas non plus qu’il faut être réfractaire au progrès technique par principe. 

La recherche de variétés plus résistantes, c’est ce qui va nous permettre d’être plus sobres. D’ailleurs soyons clairs, nous sommes beaucoup plus économes aujourd’hui que l’on ne l’était il y a deux générations.

Il y a également beaucoup d’idées reçues, notamment sur la production de céréales. C’est un sujet que je maîtrise plus particulièrement. En France, nous sommes très rarement sur de la monoculture. On a plutôt différentes variétés de blé, on met en place des systèmes de rotation.

Les agriculteurs sont très conscients des risques d’une ultra-spécialisation, même si cela peut très bien fonctionner selon les situations et les secteurs. Le modèle qui semble  le plus résilient aujourd’hui est probablement la polyculture élevage.

Que répondez-vous à ceux qui vous disent que nous n’avons plus le temps de prendre le temps de se transformer ?

Dans le monde agricole, on raisonne toujours sur le temps long. Lorsque l’on prend une décision, il faut en moyenne deux ans pour la mettre en œuvre. 

Surtout, il ne faut pas oublier que nos choix sont orientés par ceux des consommateurs. Les agriculteurs produisent ce que les gens achètent. C’est très bien de vanter le poulet bio local, mais dans la réalité, dans la restauration collective, la moitié du poulet vient des pays de l’Est. Il faut être cohérent, soit on favorise les productions locales durables, soit on produit des poulets comme dans les pays de l’Est, mais en France. Au moins, on soutiendra l’économie française.

Une chose est sûre, c’est que le monde agricole va subir d’autres changements, d’autres impacts. Peut-être que l’on reviendra en arrière sur certains aspects, mais nous aurons toujours besoin de nourrir les populations et nous devons développer des modèles qui permettent de le faire.

C’est l’instant carte blanche, quelque chose à ajouter ?

J’encourage tous les agriculteurs à mieux expliquer leur métier. Il faut déjà commencer par sa famille et ses proches. Ensuite, il faut prendre le temps, même si on en a peu, d’aller au-devant de ses voisins pour déminer d’éventuels conflits. Lorsque l’on passe à deux mètres d’une habitation avec notre tracteur, ça génère de la poussière, c’est inéluctable. Pourtant, si on explique pourquoi on ne peut pas faire autrement, ni a à un autre moment, la plupart des gens sont en mesure de comprendre. C’est par le dialogue que l’on pourra reconnecter le monde agricole au reste de la population.