Les aidants en France sont des figures de l’ombre, malgré leur rôle crucial dans le tissu social. En France, malgré une prise de conscience croissante, les soutiens concrets peinent à répondre à leurs besoins spécifiques et évolutifs. Avec Christelle Larguier, nous explorons la nécessité urgente de repenser pour mieux accompagner le nombre croissant de Français confronté à cette réalité complexe.

Pourriez-vous retracer les grandes lignes de votre parcours, depuis vos toutes premières années en crèche jusqu’à aujourd’hui ? »

Christelle Larguier : Bien sûr. Je suis originaire de Nîmes. Pendant mes études, je me suis dirigée vers la recherche à Clermont-Ferrand. J’ai réalisé un doctorat en sciences de gestion. Mon travail de recherche s’est concentré sur la communication et les relations inter-organisationnelles, c’est-à-dire les interactions entre deux entreprises ou entre entreprises et associations, par exemple.

Par la suite, j’ai occupé le poste de maître de conférences à l’Université de Bretagne Sud avant de rejoindre l’Université Clermont Auvergne (UCA) en 2006. Je suis actuellement en poste à l’IUT Clermont Auvergne à Moulins. Par ailleurs, je suis également membre du laboratoire Communication et Sociétés (COMSOC), spécialisé en sciences de l’information et de la communication.

Je me suis intéressée à la Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE). J’ai choisi un focus particulier sur l’aspect social, plutôt que sur le développement durable dans son ensemble. Cela m’a amenée à travailler sur les aidants en milieu professionnel. 

Pourrait-on avoir un aperçu de la nature et des objectifs de vos recherches actuelles ?

Christelle Larguier : Mes recherches se concentrent principalement sur le salarié aidant. Néanmoins, ce qui est intéressant, c’est que la notion d’aidance dépasse largement le cadre de l’entreprise. Elle s’inscrit dans un continuum tout au long de la vie. Ce sujet prend d’autant plus d’importance avec le vieillissement de la population et l’émergence de maladies touchant toutes les tranches d’âge à l’échelle nationale, comme certains types de cancer ou les maladies cardiovasculaires.

Les visages de l’aidant sont multiples : cela peut être un adulte ou enfant qui aide ses parents, des étudiants – par exemple, à Moulins, certains étudiants vivent avec leurs grands-parents pour éviter de payer un loyer tout en devenant aidant – ou encore un étudiant qui s’occupe de sa petite sœur hospitalisée parce que les parents travaillent. Il est important de souligner que l’aidance ne concerne pas uniquement celle envers les personnes âgées.

En France, on endosse ce rôle d’aidant en partie parce que la notion de famille est primordiale et parce que cela semble naturel. Cependant, beaucoup ne se reconnaissent pas comme aidants, que leur aide soit minime, comme faire les courses pour quelqu’un, ou qu’elle devienne une activité à plein temps. Cette non-reconnaissance expose les aidants à des risques significatifs, tant sur le plan de leur santé physique et mentale que par le risque d’isolement, les marginalisant progressivement du marché du travail.

Quelle est la situation des aidants en France comparée à celle observée dans d’autres nations ?

Christelle Larguier : Du point de vue de la recherche académique, les pays anglo-saxons et le Canada ont produit beaucoup plus de travaux sur les aidants.

En France, pendant longtemps on ne parlait pas vraiment des aidants. Le terme même d' »aidant » était peu utilisé, contrairement à d’autres pays. 

Depuis une quinzaine d’années, le terme « aidant » a gagné en notoriété. Il est désormais intégré dans des plans gouvernementaux comme le plan « grand âge », soulignant sa reconnaissance officielle. 

Concernant le soutien aux aidants, un congé proche aidant a été introduit. Il offre trois mois de congé tout au long de la carrière d’un individu. Néanmoins, ce dispositif montre ses limites, car il n’est pas adapté à la plupart des situations qui s’étalent plus longuement dans le temps. Par ailleurs, ce congé est difficile à assumer financièrement pour de nombreux Français.

Bien que le terme soit reconnu, les moyens concrets d’aider les aidants dans de bonnes conditions restent insuffisants pour éviter leur précarisation. 

Pourriez-vous préciser les mesures actuellement déployées pour soutenir les aidants ?

Christelle Larguier : Sur le plan de la recherche, nous explorons le profil des aidants à travers une approche psychologique. Cela inclut l’étude de leur vécu, de leurs besoins et des impacts de leur rôle sur leur santé mentale et physique. Cette recherche vise à mieux comprendre la vie de l’aidant, notamment dans sa carrière professionnelle, pour identifier les dispositifs d’accompagnement les plus pertinents.

Dans le monde de l’entreprise, les principales avancées s’appuient sur l’essor de la Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) qui joue un rôle clé. Par exemple, le groupe La Poste s’interroge sur ce qu’il peut mettre en place pour créer un environnement de travail adapté aux besoins des aidants. Cela peut passer par l’organisation du télétravail, l’aménagement du temps de travail, le temps partiel, ou encore la mobilité inter-site pour rapprocher l’aidant de la personne aidée.

Dans certaines entreprises, des initiatives spontanées émergent, comme le don de RTT, illustré par l’exemple de Badoit. Cela a d’ailleurs mené à la signature d’accords cadres et à la mise en place d’accords sociaux spécifiques pour les aidants.

Au niveau associatif, l’association JADE s’occupe spécifiquement des jeunes aidants. Des travaux de recherche centrés sur l’impact psychologique de l’aidance sur les jeunes sont menés. Cette dimension est cruciale, car un jeune aidant peut être amené à décrocher de ses études plus facilement. Il se retrouve confronté à des défis qui ne relèvent pas directement de l’enseignement mais plutôt des services sociaux et de santé.

Quels défis majeurs identifiez-vous dans le domaine de l’aidance en France ?

Christelle Larguier : Le premier grand défi réside dans la communication. Il est crucial de faire connaître et reconnaître la place de l’aidant. Et ce, notamment dans le parcours de soin de la personne aidée. Cette reconnaissance passe par une meilleure visibilité de leur rôle et de leurs besoins spécifiques. Que ce soit au sein du système de santé et même au-delà.

Un autre défi majeur est lié à la multiplicité des acteurs impliqués dans le soutien aux aidants. Cette diversité, bien que bénéfique en termes de ressources disponibles, peut aussi entraîner une certaine confusion. Les offres de service se chevauchent souvent. De ce fait, les aidants se retrouvent face à un paysage complexe et à grande quantité d’informations.

Cette profusion témoigne de la richesse de l’écosystème d’aide, mais elle souligne également le besoin d’une meilleure coordination et d’une simplification de l’accès aux informations pertinentes.

Quelles sont les principales revendications et besoins exprimés par les aidants ?

Christelle Larguier : Les aidants expriment avant tout le besoin d’être reconnus. Ensuite, ils souhaitent des solutions adaptées à leur situation spécifique. Ils soulignent souvent les mêmes difficultés qu’il y a dix ans. C’est le signe que peu de progrès ont été réalisés dans ce domaine.

Parmi ces difficultés, le manque de structures adaptées est fréquemment mentionné. Par exemple, les aidés ne rentrent pas toujours dans les catégories d’âge standardisées par les systèmes de soin et d’aide. La gestion des problèmes spécifiques, comme l’autisme, pousse certains à partir à l’étranger pour être accompagnés.

Ils ont du mal à trouver de l’aide adaptée, ce qui met en lumière le besoin urgent de solutions plus efficaces et accessibles pour les soutenir dans leur rôle indispensable.

Vous avez évoqué un phénomène de sur-information et une commercialisation croissante dans le secteur de l’aidance. Pourriez-vous développer ce point ?

Christelle Larguier : Comme dans beaucoup d’autres secteurs, les difficultés dans l’accompagnement des aidants permettent à des organisations privées de proposer des offres commerciales ciblées. Elles sont aussi à l’origine de la création de contenus informationnels. Ces derniers ne sont pas toujours totalement clairs dans leurs objectifs. Ces pratiques posent des dangers évidents. En effet, elles peuvent conduire à des décisions financières lourdes de conséquences pour les aidants et les aidés.

Certains départements, conscients de ces enjeux, ont pris des initiatives pour pallier ces risques. Le département de l’Allier, par exemple, a mis en place une plateforme numérique. Cette dernière est destinée à centraliser les informations nécessaires aux aidants. Cette initiative vise à aider les aidants à trouver leur propre chemin. Elle fournit un accès simplifié à des informations vérifiées et fiables.

C’est l’instant carte blanche. Avez-vous quelque chose à ajouter ?

Christelle Larguier : Oui, merci. Je pense qu’il est essentiel de souligner l’importance de la pédagogie autour de l’aidance. Il serait pertinent d’envisager un volume de cours dédié à l’aidance dans certains cursus. 

Du point de vue académique, il est temps de prendre le temps d’examiner la véritable place de l’aidant dans la société. Cela inclut leur rôle dans le parcours de soin et la prise en compte de la globalité de l’individu. En tant qu’aidant, on peut endosser plusieurs rôles : être à la fois le mari, la psychologue, la femme de ménage… C’est une réalité complexe qui ne peut pas être gérée uniquement par l’administration ou par le volet social en entreprise.

La Journée Nationale des Aidants est un événement qui se déroule chaque année. Elle met en lumière le travail des aidants, qu’ils soient professionnels, comme les auxiliaires de vie, ou non professionnels. C’est-à-dire des personnes qui prennent soin d’un proche sans pour autant être formées ou rémunérées pour cela. Dans l’Allier, elle se déroulera le 8 octobre 2024. Des stands, des animations et une exposition seront proposés.