Le Damier organisait les 23 et 24 novembre derniers, “LUX, Le nouveau salon professionnel qui met en lumière la Galaxie des Industries Culturelles et Créatives” à Clermont-Ferrand. Trois objectifs principaux à ce salon. Le premier était de s’adresser à un public professionnel d’autres secteurs d’activités pour qu’ils prennent conscience de ce que représente ce secteur sur le territoire. Il s’agissait ensuite de prendre le temps de questionner ce qui agite le secteur. Les grands enjeux de transformation de la filière, de ses activités, de ses façons de les mener, de ses métiers… (Lire aussi l’interview de Nathalie Miel, directrice du Damier)

Pour cela, le programme proposait des contenus d’actualité mais aussi prospectifs, avec des intervenants de grande qualité. Et enfin, l’intention était également d’incarner la culture, de la vivre. C’était l’objectif de la soirée, organisée au Lieu-Dit, montrer concrètement des projets de qualité, musicaux, immersifs, conviviaux, …. issus du territoire. Concernant la programmation, elle était structurée en quatre parcours, chacun animé par un modérateur issu de l’écosystème.

Le programme transition numérique, animé par Mathieu Poinot du Grin. Le parcours créativité et collaboration (animé par moi). Celui dédié à l’entrepreneuriat, animé par Benoît Bouscarel de l’Onde Porteuse. Et enfin, celui consacré au développement durable, modéré par Raphaël Poughon, de La Montagne Centre France.

Raphaël, qu’est ce qui t’a amené à contribuer à Lux ?

Je suis journaliste et directeur de la prospective du Groupe La Montagne Centre France. A ce titre, nous sommes membres du Damier, puisque les médias font partie du secteur des industries culturelles et créatives. C’est d’une part intéressant et d’autre part important pour nous de contribuer à ce premier événement, ici à Clermont. On ne pense pas immédiatement aux médias quand on évoque ce secteur et pourtant nous devons vraiment y trouver et prendre notre place. Je suis convaincu que la dynamique collective de toutes les composantes du secteur est vraiment très importante dans le moment de transition que nous vivons. Un moment qui révèle un fort besoin de réinventer nos récits du quotidien. Il me semble important de regarder du côté de ceux qui ont les outils pour façonner les imaginaires, inventer de nouvelles modalités de récits, avec d’autres regards, d’autres cultures, …  

Prospective n’est pas divination

La Prospective, ce n’est pas une science exacte. Il n’y a rien d’académique. Ce n’est pas prédire l’avenir mais imaginer des futurs possibles et s’y préparer en analysant les tendances fortes et leurs impacts et aussi les signaux faibles. Ça se nourrit  par beaucoup de veille et de lectures que ce soit d’études d’émetteurs connus comme l’Ademe ou d’individus, de prospectivistes, de direction de la prospective de grosses entreprises…

Il faut accepter de laisser tomber les idées préconçues, de libérer son imagination pour penser différemment et en tirer des schémas différents.

Tu étais donc le modérateur du Parcours développement durable.

Un parcours en 4 étapes. Décarboner la Culture, avec une représentante du Shift Project et une haute fonctionnaire du Ministère de la Culture, un focus sur  l’inclusivité dans l’emploi culturel, un éclairage sur les dispositifs d’accompagnement à la transformation et enfin, un retour d’expérience sur la  Fresque de La Culture. Y a t il des éléments qui t’ont particulièrement marqués ?

En effet, “développement durable” c’était le programme du jeudi et le lendemain, on était sur une approche  prospective via un atelier de design fiction. Et justement ce qui m’a marqué, c’est que l’on parle culture par l’angle du développement durable ou par la prospective, on arrive aux mêmes sujets de discussion. 

Les sujets qui agitent le secteur sont ceux des crises, des transitions, des transformations et des ressources pour les aborder. Et de la place de la culture. Que ce soit lors des échanges préparatoires ou pendant les conférences, à chaque fois, revient le fait que la culture est en pleine redéfinition. Le Covid a laissé des traces. Notamment parce qu’il a estampillé les secteurs: essentiels ou non essentiels.

Cela a provoqué une remise en question profonde, des conséquences économiques bien sûr mais aussi une forme de crise de vocation …ou en tout cas un sentiment de décalage entre habitudes de “consommation” de la culture et réalités des pratiques et des métiers de la culture tels qu’ils existent aujourd’hui.

Une communauté qui pousse

Par exemple, Mathilde Yagoubi de Game Only (l’asso qui rassemble les entreprises du jeu vidéo en AURA) relevait  le décalage entre le besoin de diversité dans les métiers du jeux vidéo, pour diversifier les approches et les regards, et les jeunes qui sortent aujourd’hui de formation. Il n’y a pas assez de diversité, il n’y a pas de représentativité de la société et c’est dommageable. Les concepteurs de jeux vidéo sont d’ailleurs aujourd’hui pas mal challengés par leurs publics sur leurs engagements environnementaux, leurs contributions à de nouveaux récits et leurs apports sur le plan social, notamment sur leurs efforts pour lutter contre les stéréotypes…

Chacun fait le constat que la contrainte s’accentue. Par les publics mais aussi par les normes d’ éco conception, par les nouvelles ou futures contraintes légales, par les cahier des charges de plus en plus exigeants, … L’envie qui transparaît est de faire de ces contraintes une opportunité. Et puis, il y aussi cette volonté d’être un secteur essentiel dans ce moment de point d’inflexion de la transition. Il y a cette nécessité d’écrire de nouveaux horizons, d’inventer et promouvoir de nouvelles manières de faire … Et les acteurs culturels, l’imaginaire, c’est leur cœur de métier ! 

Ce qui m’a frappé aussi, c’est l’état d’esprit. Même s’il y a eu crise, s’il y a de la contrainte, de la pression, … j’ai ressenti  aussi une énorme envie de se questionner, de s’ouvrir, d’aller de l’avant, de participer …

Vendredi matin, c’était prospective avec un atelier de design fiction autour des métiers et compétences culturelles. Tu nous expliques ?

Le design fiction. 

Petite définition piquée à l’Ecole des Ponts Paris Tech “Le design fiction allie prospective, créativité et design pour explorer et réinventer les futurs possibles. A travers la critique, la narration et le prototypage, il dessine les contours de notre futur au quotidien et nous amène à questionner les décisions que nous prenons aujourd’hui.”

Le pitch de l’atelier 

“Dans un monde marqué par de multiples crises, l’évolution et l’adaptation sont les maîtres mots. Quelles grandes transformations sont générées par ce contexte ? Quels impacts ces évolutions socioculturelles auront-elles sur les métiers et les compétences dans la filière des Industries Culturelles et Créatives ?”

Pour l’occasion, il s’agissait de se projeter en 2040, au travers de deux  scénarios. Attention, ce ne sont pas des scénarios comme ceux présentés par l’ADEME, qui compilent et modélisent des centaines d’études, de données, etc Là, c’est plutôt une extrapolation de signaux qui vise à ouvrir les chakras des participants, à se décentrer pour mieux se projeter dans autre chose.

La recette

Une trentaine de participants motivés, répartis en trois groupes, rassemblés autour d’une mission : imaginer les fiches de poste de métiers de la culture de demain puis les illustrer, en affiche de recrutement, en dessin d’un lieu où travailleraient ces personnes, …

Deux scénarios proposés aux participants, conçus par l’agence Design Friction 

Fatigue générale, qui démarre ainsi “ En 2040, la multiplication des intelligences artificielles génératives conduit à une prolifération des contenus hyper personnalisés. La création assistée par l’intelligence artificielle a certes permis d’aboutir à des contenus conçus «sur-mesure» pour les publics, mais dans le même temps il est toujours plus compliqué de capter l’attention de personnes sursollicitées de toute part. Du côté des publics, c’est l’overdose! Ce mal-être a un nom : la fatigue informationnelle; un phénomène de saturation qui amène chacune et chacun à éviter les contenus informationnels et culturels pour préserver sa santé mentale. […]

L’enjeu : répondre à l’infobésité croissante en mettant au régime la production créative et en proposant des exercices pour mieux gérer le trop-plein de contenus et d’expériences, numériques ou non.”

L’économie circulaire de la création: “En 2040, suite au texte de loi «Création Vertueuse et Responsable» voté en septembre 2028, l’économie circulaire s’est durablement installée dans le monde de la création au sens large. Le secteur dans son ensemble a désormais pour obligation de «produire des œuvres artistiques et des expériences culturelles de manière durable, en limitant la consommation et le gaspillage des ressources et la production des déchets». Cette nouvelle donne repose sur les 4R – réduire, réutiliser, réparer, recycler – qui sont rapidement devenus la norme de toute création.[…]

C’est donc une véritable culture du remix et du dérivé qui se développe; la création purement originale et sans perspective de réemploi étant devenue socialement et économiquement indésirable.”

Le lien, top valeur en 2040 ?

Force est de constater la capacité créative de l’intelligence collective bien stimulée !  L’atelier a donné naissance à trois nouveaux métiers :  chuchoteur, DM – Dénicheur de Matières et accompagnateur en expériences partagées.

Chuchoteur/se

Le chuchoteur s’adresse à ceux qui sont saturés et fatigués d’informations. Sa mission est d’aller dans la rue, de villes et de villages, d’installer son tipi et de diffuser une information sélectionnée, ni trop aseptisée ni trop angoissante. Il cherche à créer du lien, du débat, de l’échange, tout en veillant à préserver une atmosphère apaisée. Il est médiateur et diffuseur de good vibes. 

Accompagnateur/trice d’expériences

L’accompagnateur utilise les ressources de l’IA, grâce à un sismographe émotionnel. Il mesure tout (oui tout) la saturation, le trop plein mais aussi les désirs et les émotions. Grâce à ce sismographe et à un trombinoscope d’atomes crochus, il identifie les envies et points communs à son public. Et comme il maîtrise parfaitement les offres culturelles auxquels chacun est sensible, il va pouvoir faire son travail de reliance et proposer des expériences culturelles et artistiques partagées. Elles sont soignées, parfaitement adaptées et sont dans le vrai, le proche, l’authentique. Elles suscitent des émotions. Positives.

Dénicheur/se de matières

Enfin, le DM est un poste stratégique au sein de la Maison des Matières. Le dénicheur de matière accompagne les artistes dans l’identification des matières dont ils ont besoin pour créer. Il les accueille aussi dans un lieu d’échanges. Le DM connaît parfaitement son territoire, toutes les astuces pour connecter les besoins et les ressources. Il est très au fait des principes d’éco conception et permet d’optimiser le super indice de la Maison des Matières.

La finalité d’un atelier comme celui-ci est de permettre d’aller au-delà de la compréhension, de la prise de conscience. C’est une manière de contribuer à imaginer, à concevoir. Les participants ont été très créatifs et semblent y avoir pris beaucoup de plaisir. 

Libérer la créativité

Ce qui est plutôt chouette c’est de suivre ce fil rouge du lien. Chacun de ces nouveaux métiers porte une vision d’un monde qui refait une vraie place à la relation humaine, au lien, à l’échange apaisé, ancrée sur un territoire de proximité. Sans doute ce dont on ressent le manque le plus flagrant aujourd’hui.

Puisse 2040 ressembler à ça. Ou plutôt,  puissions-nous le faire advenir !

#Prospective Les conseils de Raphaël

La personne à suivre

Noémie Aubron, experte de la prospective créative, et auteur de l’inspirante newsletter La mutante / Futur(s): une fiction sur le futur par semaine, inspirée de signaux faibles.

Le livre à lire

Making Tomorrow, Un manuel pour apprivoiser le futur à l’aide du design fiction. Minvielle Nicolas, Wathelet Olivier, Lauquin Martin et Audinet Pauline. Editions Hold Up. Le livre référence d’introduction au design fiction.

L’événement à ne pas rater

Lux 2025 évidemment 😉