Renald Auvray est responsable d’activités Développement digital clients au Crédit Agricole Centre France.

Le Crédit Agricole, ce sont 39 caisses régionales juridiquement indépendantes, qui, ensemble, constituent et détiennent le groupe mutualiste Crédit Agricole.  Le territoire de la caisse du Crédit Agricole Centre France, ce sont 5 départements: Creuse, Corrèze, Cantal, Puy de Dôme et Allier. Voilà pour le rapide rappel.

C’est une organisation dont Renald Auvray dit lui-même que c’est le premier challenge des nouveaux embauchés : comprendre la structuration de l’entreprise. “C’est à la fois un grand groupe mais composé d’entités autonomes. Certains projets sont mutualisés parce qu’ils correspondent aux besoins de tous. Chaque caisse a la possibilité de développer ses propres solutions répondant à ses besoins propres.”

Et donc, quel est ton rôle au sein de Crédit Agricole et ton histoire avec l’innovation ? 

Renald Auvray. Je suis en charge des projets digitaux à destination des réseaux bancaires de l’entreprise, c’est-à-dire les ressources utilisées par les agences ou directement par les clients. (A l’exception du site corporate qui abrite toutes les fonctions communes et qui est développé par le GIE informatique du groupe). Ce GIE est d’ailleurs assez révélateur de la façon dont se construit l’organisation du groupe en matière de systèmes d’information.

Je l’ai vécu de l’intérieur. 

J’ai été recruté en 2003. J’étais alors jeune ingénieur en informatique issu de l’ISIMA. J’avais travaillé 4 ans en SSII, chez CGI, et j’ai intégré le service informatique. J’étais le plus jeune de l’équipe, ce qui explique sans doute que l’on m’ait confié les sujets innovants du moment. J’ai travaillé sur la synchronisation, sur les Pocket PC, les premiers agendas digitaux, sur de nouveaux formats d’annuaires, … des projets pas forcément disruptifs en termes de technologies mais tout à fait nouveaux pour la Caisse régionale. Les banques sont plutôt suiveuses, elles créent peu d’innovations disruptives mais en revanche, elles sont en pointe dans l’adoption

Avec le fait que j’ai mis en place ces nouvelles solutions et surtout, que je me suis beaucoup intéressé au sujet de l’innovation, de manière informelle, je suis devenu un peu le réflexe innovation SI. 

Après quelques années, une petite cellule a été créée au sein du service informatique pour  mettre en place les nouvelles technos. Puis, le GIE a été mis en place et j’ai été chargé de gérer les ressources en matière de gestion de l’intranet, de systèmes de communication, la messagerie pour 7 Caisse régionales … c’était de grands projets transversaux. Puis il y a eu une nouvelle fusion de GIE. Là, j’ai souhaité revenir en Caisse Régionale mais j’ai toujours un lien avec le GIE. Il a constitué une division innovation appuyée sur les caisses régionales,  et j’en suis le référent pour le Crédit Agricole Centre France. 

Il y a beaucoup de transversalité au Crédit Agricole ?

Renald Auvray. En effet, la dimension fédérale fait qu’on va plutôt faire remonter ce qu’il y a d’innovant dans les différentes structures, ou identifier des besoins communs qu’essayer de d’imposer des innovations ‘descendantes’. Il y a aussi une volonté de ne pas faire de l’innovation une fonction officielle, de ne pas l’institutionnaliser. C’est une conviction de la direction générale. L’innovation doit être l’affaire de tous. Évidemment, on sait bien que parfois cela peut se traduire par l’affaire de personne mais en fait, l’organisation laisse la place à l’initiative personnelle et la suscite.

C’est le cas de notre GIE, dont le groupe d’open innovation interne organise, chaque année, un Hackathon à destination des 39 caisses régionales.

Toutes les caisses peuvent proposer des projets. Le GIE finance les lauréats. Ils suivent un parcours d’expérimentation puis de tests avant d’être déployés en cas de retours positifs.  

Renald, de quoi es-tu le plus fier aujourd’hui ?

Renald Auvray. Sur ces hackathons, 3 de mes  projets  ont été lauréats, en collaboration avec avec d’autres caisses intéressées par le même sujet.

Il y a d’abord eu l’outil “ Compte-rendus’ permettant aux conseillers de dicter en vocal leurs comptes rendus post rendez vous clients. On a travaillé avec Google pour la partie dictée. Là encore, ce n’est pas la technologie mais l’usage qui fait l’innovation. 

Puis, nous avons poursuivi, sur ce même projet, avec un outil d’analyse sémantique des comptes rendus générés. L’objectif étant d’identifier les projets clients évoqués et de générer des rappels pour les conseillers. C’est une optimisation de ce que l’on appelle le rebond commercial, un vrai gain potentiel d’efficacité et de temps pour les conseillers.

Nous sommes dans de très grosses machines, il y a une forte inertie liée à notre organisation non pyramidale. Ce n’est pas une critique mais un fait, et plutôt positivement challengeant. Il faut passer les barrières pour développer, en particulier pour le national. Une fois qu’un projet est sélectionné, il faut passer toutes les phases, puis convaincre les caisses régionales.

On n’impose pas, donc il faut convaincre. Et pour ça, il faut bien connaître les arcanes, il faut procéder par étapes, les unes après les autres, … C’est une activité vraiment proche du lobbying! Chacun a ses contraintes, de moyens, mais surtout de temps. Cela oblige à développer une capacité de conviction forte, à être capable de se remettre en question aussi pour intégrer suffisamment de plus value pour donner envie. C’est très stimulant !

De fait, il  faut consacrer beaucoup de temps au lobbying interne pour implanter de nouveaux projets. Ensuite, il faut accompagner la phase d’adoption, toute la formation, l’intégration des nouvelles façons de faire, du dirigeant au conseiller ! Par exemple, sur les outils évoqués, il aura fallu 4 ans entre le début du projet et l’installation effective dans les caisses.

Un autre des projets issus du Hackathon en mai 2021 que j’aime beaucoup porte sur la création d’une tirelire connectée pour les enfants. Ce sera un vrai objet, physique, relié à une appli avec de nombreuses fonctionnalités (heure, météo, réveil, babyphone, …)

Quels sont les principaux freins à lever dans ton job ?

Renald Auvray. Ce ne sont pas des freins mais des contraintes. Il faut trouver le moyen de faire avec.

  1. Les banques ont été parmi les premières entreprises informatisées. Leur système d’information est  donc plus compliqué à faire évoluer que quand on démarre de zéro. 
  2. Les banques comme la nôtre sont généralistes : elles répondent à tous les besoins de tous les clients dans tous les domaines  ! Il y a une telle multiplicité des produits, des services, des fonctionnements, des publics … que c’est beaucoup plus complexe que quand on est ‘monotâche’
  3. Et puis il y a aussi, les contraintes liées à notre activité de banque : réglementaires, conformité, etc :  plus 2000 pages tous les ans pour la réglementation bancaire 

Nous y avons consacré un événement récemment lors du forum French Tech, la question des KPI dans les démarches d’open innovation est souvent complexe, qu’en est-il pour toi ?

Renald Auvray. Oui, en effet, c’est un sujet compliqué, surtout et c’est souvent le cas, lorsqu’on est sur des projets un peu intangibles. Par exemple, lorsqu’il s’agit de déployer des solutions qui vont améliorer le délai de traitement des dossiers clients, là, on a facilement un indicateur de temps passé après à comparer avec la situation antérieure. C’est facile. Mais lorsqu’on parle de nouvelles fonctionnalités, en revanche, dont l’objet serait d’améliorer la relation client là, la mesure d’un ROI est beaucoup plus compliquée. On va s’appuyer sur notre indicateur IRC qui mesure par enquête nationale chaque le niveau de satisfaction des clients. Mais s’il augmente, on peut rarement l’associer à une seule action, ni même en mesurer le poids. C’est donc assez compliquer 

Sur la tirelire par exemple … je ne sais pas comment on va mesurer.

Ceci étant, c’est sans doute avant tout une question de posture d’entreprise au regard de l’innovation. Il faut des KPI bien sûr, mais elles ne doivent pas être sclérosantes. Si on veut tout faire rentrer dans des indicateurs traditionnels, on ne pourra pas vraiment sortir du cadre et innover. Au Crédit Agricole Centre France, il y a la place et la culture pour explorer, sans chercher la rentabilité immédiate à tout prix, …On le sait, l’innovation demande beaucoup d’investissements et de temps. Cela dépend vraiment de l’appétence des dirigeants et de leur enthousiasme. La conviction est le premier levier. Et j’ai cette chance : on me fait confiance, on me laisse faire, je gère mon temps sur mes différentes missions en toute autonomie, et je rends compte régulièrement évidemment. 

Tes outils méthodologiques préférés ? 

Renald Auvray. Alors personnellement, je suis plus ‘usages’ qu’outils méthodo.

Ceci dit, sur les gros projets, je prends le temps de définir précisément les personnae, d’identifier leurs pain points, d’établir un swot, les scénarii de cas d’usage, le MVP …. C’est très contraignant et lourd  mais très très structurant pour la réflexion et la maturité d’un projet. Ensuite, on travaille en sprint, en mode agile, notamment sur les projets issus du Hackathon.

Au GIE, il y a en permanence 10 à 12 projets en portefeuille, la partie technique est assurée par le GIE et les équipes des caisses sont plutôt sur l’aspect fonctionnel utilisateurs. Sur ces sujets, on est amené à aller chercher les solutions hors du groupe (Google pour compte rendus par exemple …) Sinon, un outil que j’aime bien, c’est FanVoice, c’est une solution de gamification de démarches de co création avec les clients. Ils proposent des idées, réagissent à nos sollicitations, etc. C’est très puissant comme solution.

Quels sont tes futurs principaux challenges ?

Renald Auvray. J’en vois deux principaux et il y en aura sans doute d’autres. 

Nous allons bientôt changer de Directeur Général, je l’ai dit précédemment, la posture du management à l’égard de l’innovation est fondamentale pour orienter la dynamique. Ce sera déterminant.

J’ai eu envie de mieux connaître la dimension commerciale, j’ai donc commencé une mission avec la direction commerciale de la Caisse régionale, pour mieux appréhender leurs enjeux, leurs besoins, … et imaginer de nouvelles solutions pour y répondre. Par exemple, il y a un groupe de travail national sur une problématique commune : joindre plus facilement les conseillers par tous les canaux. Ce groupe a déjà produit un outil de diagnostic, des fiches d’analyse, des recommandations… Les caisses les mettent progressivement en place. Ce sont surtout des bonnes pratiques. Innovantes ou pas, selon comment on définit l’innovation. S’il s’agit de faire différemment, on est pile dedans !

Tu es membre du Club Open Innovation du Connecteur depuis 2 ans. Qu’est ce que tu es venu y chercher et qu’est ce que cela t’apporte ?

Renald Auvray. Je suis venu au Club Open Inno avec deux objectifs : me confronter à des univers professionnels différents mais qui partagent un contexte humain. Nous venons d’entreprises aux cultures très différentes mais partageons la question de la conduite du changement dans des organisations plus ou moins lourdes. C’est toujours très enrichissant de pouvoir échanger avec d’autres formes de pensée. Je n’aime pas du tout la contradiction mais en fait, j’aime bien la chercher ! J’aime bien la forme d’humilité, de remise en question que cela implique. Il faut savoir accueillir le doute pour affûter ses arguments et approfondir ses réflexions …  c’est stimulant et efficace pour être plus convaincant. 

Et la deuxième raison, liée à la première, c’est pour élargir mon réseau, rencontrer d’autres univers, se nourrir… Et en troisième, il y a aussi l’apport méthodologique.

Le COI, comment tu l’expliques à ceux qui ne connaissent pas ?

Renald Auvray : J’ai presque l’impression que c’est un groupe de parole !

Je parle d’un lieu d’échange autour de l’innovation, où l’on partage des bonnes pratiques et qui permet la confrontation des points de vue différents. C’est une sorte de miroir, comme on n’en trouve pas facilement en restant dans son propre milieu. Cela permet de regarder ses propres pratiques avec recul, d’identifier des dysfonctionnements mais aussi des choses qui fonctionnent bien.  

Tes conseils pour un débutant de l’open innovation  ?

Renald Auvray : Je pense que le premier conseil, l’unique d’ailleurs, serait d’y aller seulement si on aime ça. 

Ce n’est pas un univers de travail classique: il ne faut pas avoir peur de ne pas voir tout de suite où on va, il faut plus d’énergie et d’investissement pour arriver à faire avancer ses projets. Si on n’a pas une foi inébranlable, cela peut être très vite décourageant

Donc ma recette : de la passion, de l’énergie et … de la patience !  

Tes inspirations 

Hugo Lisoir sur Astronomie et espace

Balades mentales